Gabon/Couvre-feu depuis près de 2 ans : quand les militaires bafouent les libertés individuelles
Par Stive Roméo Makanga
Depuis le coup d’État d’août 2023 qui a porté le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) au pouvoir, le Gabon est soumis à une mesure qui divise profondément : un couvre-feu instauré dans l’urgence et qui, à ce jour, demeure en vigueur. Initialement présenté comme une réponse sécuritaire immédiate, ce couvre-feu, sans cesse prolongé, est désormais une contrainte quotidienne pour des populations autrefois habituées à une certaine liberté. Peut-on raisonnablement priver un peuple de sa liberté pendant près de deux ans ? C’est une question cruciale, qui reflète les dérives de la transition actuelle.
En instaurant ce couvre-feu, le CTRI a justifié sa décision par le besoin de maintenir l’ordre et d’éviter tout trouble susceptible de compromettre le processus de transition politique. Pourtant, 14 mois plus tard, cette mesure paraît de plus en plus injustifiable. Le silence des autorités face à cette situation alarmante pousse à s’interroger : où s’arrête la sécurité et où commence la dérive autoritaire ?
La réalité du terrain est glaçante : les populations sont harcelées, particulièrement les jeunes interpellés lors des patrouilles nocturnes ces récents jours et dont les images déferlent sur les réseaux sociaux. Nombre d’entre eux témoignent de traitements humiliants, qui frisent l’atteinte aux droits de l’homme. Rasés de force, parqués à même le sol et souvent violentés verbalement, ces citoyens sont traités comme des délinquants pour avoir simplement enfreint une mesure devenue insoutenable. Cette politique répressive, sous couvert de maintien de l’ordre, instille la peur et la frustration dans la société gabonaise, au point de raviver des blessures liées à d’autres périodes d’exception.
Le revers économique du couvre-feu est tout aussi préoccupant. En limitant les déplacements après une certaine heure, les activités nocturnes – pourtant essentielles dans certaines branches économiques – sont paralysées. Les petits commerçants, restaurateurs, gérants de bars et transporteurs, tous vivent une précarité accrue, incapables de compenser les pertes colossales subies depuis plus d’un an. Quelle est la stratégie des autorités pour relever cette économie de nuit en berne, alors qu’elle constitue un pan vital pour des milliers de Gabonais ?
Les villes autrefois dynamiques après le coucher du soleil sont aujourd’hui silencieuses, éteintes par une mesure d’un autre âge. La précarité grandissante pousse certains travailleurs à contourner le couvre-feu, s’exposant aux sanctions arbitraires des forces de sécurité. Ce cercle vicieux entre répression et survie économique révèle le manque criant de vision à long terme de la transition actuelle.
Le CTRI, en instaurant ce couvre-feu sans fin, semble se délester de sa responsabilité première : celle d’assurer un équilibre entre sécurité, respect des droits fondamentaux et prospérité économique. Or, après plus d’une année, il est légitime de s’interroger sur l’efficacité de cette mesure devenue impopulaire. En continuant de priver les Gabonais de leur liberté individuelle, le régime transitoire court le risque de s’aliéner une population de plus en plus désabusée.
Car à quoi sert une transition si elle conduit aux mêmes travers dénoncés lors du coup d’État d’août 2023 ? Les promesses de restauration des institutions et de retour à l’État de droit semblent bien loin de la réalité quotidienne des citoyens. Le prolongement indéfini de ce couvre-feu devient ainsi le symbole d’une transition qui se mue, lentement mais sûrement, en un régime autoritaire.
Il est essentiel de rappeler que les humiliations infligées aux personnes interpellées, les traitements dégradants et la répression systématique sont des violations claires des droits de l’homme. Le Gabon, signataire de plusieurs conventions internationales, doit répondre de ces dérives. Comment justifier que des citoyens soient rasés, parqués et humiliés pour avoir simplement tenté de vivre leur quotidien ? Cette situation interpelle autant les défenseurs des droits humains que l’opinion publique nationale et internationale.
Pour sortir de cette impasse, le CTRI doit revoir sa copie. Il est impératif d’alléger, voire de lever, ce couvre-feu qui n’a plus lieu d’être dans un pays en quête de normalisation. La relance de l’économie de nuit, la restauration des libertés individuelles et la mise en place de mesures concrètes pour apaiser les tensions sociales doivent devenir des priorités. Le Gabon ne saurait continuer à avancer avec une mesure liberticide qui étouffe sa population et sa prospérité économique.
À défaut, le risque est grand de voir cette transition, censée restaurer la dignité des Gabonais, devenir synonyme de répression et de désillusion. Le peuple gabonais mérite mieux que cette confiscation de liberté, imposée au nom d’une sécurité qui ne convainc plus personne.
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