Affaire Harold Leckat : la liberté de la presse à l’épreuve de la transparence publique

Par Stive Roméo Makanga

D’hier à aujourd’hui (c’est-à-dire de mercredi à jeudi) , le nom d’Harold Leckat, directeur général de Global Media Time (GMT), agence de communication éditrice de Gabon Média Time, l’un des organes de presse les plus influents du microcosme médiatique gabonais, alimente la chronique nationale. Interpellé par les services compétents dans le cadre d’une enquête sur un contrat liant sa société à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), le jeune entrepreneur se retrouve au cœur d’un débat sensible où se mêlent liberté de la presse et transparence publique.

Et comme souvent dans ce type d’affaire, la première réaction d’une partie de l’opinion a été de brandir le spectre de la censure (quoi de plus plausible). Sur les réseaux sociaux, de nombreux commentaires ont dénoncé une “atteinte à la liberté d’expression”, un “régime autoritaire” qui chercherait à “museler la presse indépendante”. Ce réflexe, presque pavlovien, oublie pourtant une donnée essentielle : la question posée par cette affaire n’est pas celle du droit d’informer, mais bien celle du droit de gérer des fonds publics dans le respect des règles.

Disons les choses sans atermoiements: il s’agit d’un dossier financier, pas un procès d’opinion. Pour l’étayer, précisons que les informations issues des enquêtes préliminaires, consultées par plusieurs sources proches du dossier contactées par notre Rédaction, font état d’un contrat de communication signé entre la CDC (établissement public) et la société GMT, sans appel d’offres préalable. Ce manquement, s’il est confirmé, constituerait une entorse au Code des Marchés Publics, qui impose la mise en concurrence pour tout marché public dépassant certains seuils financiers. C’est un fait. Le contrat, semble-t-il entamé en septembre 2020 et renouvelé plusieurs fois jusqu’en 2023, aurait représenté un montant cumulé avoisinant les 459 millions de francs CFA.

À cela s’ajouteraient des prestations dites “hors contrat”, évaluées à environ 41 millions de francs CFA. Les enquêteurs évoquent des irrégularités dans la facturation. Il s’agit notamment des prestations incomplètes, redondantes ou difficilement traçables. Autant d’éléments qui auraient conduit à la saisine de la justice par l’Agence judiciaire de l’État, que nous n’avons pu contacter à ce jour.Cependant, il convient de préciser que ces données sont issues des enquêtes préliminaires, et qu’aucune décision judiciaire n’a encore été rendue. Harold Leckat, comme tout citoyen, bénéficie de la présomption d’innocence.

Reste que cette affaire soulève une question de fond : pourquoi la liberté de la presse est-elle systématiquement invoquée dès qu’un acteur du secteur est confronté à la justice ? Il est tout à fait légitime de défendre les journalistes lorsqu’ils sont inquiétés pour leurs opinions, leurs enquêtes ou leurs révélations. Mais lorsque les faits relèvent de la gestion contractuelle ou financière, la posture victimaire devient contre-productive. Dans ce contexte, elle brouille les lignes entre indépendance éditoriale et responsabilité économique.

Si les faits reprochés s’avéraient fondés, il s’agirait moins d’une atteinte à la presse que d’un cas typique de dérive contractuelle au sein de la dépense publique. Et si, au contraire, l’enquête démontrait l’absence d’irrégularité, cela renforcerait la confiance dans les institutions, en prouvant qu’aucune interpellation ne saurait être assimilée à une condamnation.

Dans tous les cas, cette séquence rappelle une évidence : la liberté de la presse ne saurait servir de paravent à des pratiques économiques opaques. La presse, par essence, doit être la première à exiger la transparence, y compris la sienne.

À la lumière de ce qui précède, le vrai enjeu n’est donc pas la personne d’Harold Leckat, mais la maturité du débat public. Dans une démocratie en reconstruction, il est sain que la justice interroge, que la presse questionne, et que le citoyen exige des comptes. Ce n’est pas la liberté qui est en péril, mais l’irresponsabilité qui recule.

Si le Gabon veut bâtir une presse forte, crédible et respectée, celle-ci doit s’émanciper de toute dépendance économique vis-à-vis de l’État ou de ses démembrements. La liberté ne se décrète pas ; elle s’entretient par la rigueur, l’éthique et la transparence. C’est sans doute anecdotique de l’évoquer en ces termes, lorsqu’on sait que la presse privée chez nous n’est pas prête de lâcher la perfusion qui la maintient en vie, faute de viabilité.

En définitive, l’affaire qui accable notre confrère, Harold Leckat, agit comme un miroir tendu à tout le secteur médiatique gabonais. Elle interroge nos pratiques, nos rapports à l’argent public et notre conception même de la liberté de la presse. Défendre la liberté d’informer ne doit jamais signifier défendre l’opacité. La crédibilité de la presse se mesure moins à sa capacité à dénoncer qu’à celle d’être elle-même irréprochable. C’est à ce prix seulement qu’elle pourra continuer à parler au nom de l’intérêt général.

Please follow and like us:
Pin Share

Laisser un commentaire

Follow by Email